ASPASEN Témoignages Anne Marie Ndiaye

Anne Marie Ndiaye

On était loin d’imaginer à quel point on devait apporter une assistance constante à grand-mère avant sa chute un soir en voulant se rendre à la salle de bain. La souffrance occasionnée par cette chute annonçait le début de la fin. Après la pose d’un pacemaker et quelques hospitalisations, sa santé s’était sérieusement dégradée. La femme joviale et bavarde que l’on connaissait jadis, avait perdu du poids et était devenue calme. Elle était devenue dépendante des autres pour maintenir une hygiène de base et se nourrir. Cette femme qui a apporté des soins à ses enfants et tant d’autres vivait tellement mal cette situation qu’elle souhaitait une fin rapide. Un dimanche soir, après plusieurs vaines tentatives de mon oncle et ma tante pour la faire manger, j’ai réussi à lui faire prendre quelques cuillérées de yaourt. Après chaque bouchée, elle leva la main et essuya la bouche – le réflexe d’être présentable et digne jusqu’à la fin, même lorsqu’elle n’est qu’en compagnie de sa petite fille sur son lit. Deux fois, elle a essayé de me parler, mais je ne pouvais pas comprendre ce qu’elle disait – J’aurai tellement aimé savoir ce qu’elle voulait me dire, même aujourd’hui encore. C’était la dernière soirée que je passais à ses côtés

Je l’avais serré dans mes bras pour la garder au chaud et pour lui faire ressentir tout l’amour que j’éprouvais pour elle afin qu’elle puisse y puiser la force pour tenir encore. De la même manière qu’elle avait été une force de la nature qui a fait de moi une femme forte, m’a fait sentir en sécurité et capable de conquérir le monde, je voulais en quelque sorte lui rendre la pareille. J’avais le besoin de lui faire ressentir mon amour inconditionnel, de lui apporter mon soutien infaillible, de pouvoir tout simplement la réconforter. Pour moi … elle était encore et serait toujours la Grande Royale : une force incroyable avec sa force, son courage et une présence incommensurable dans nos vies.

Elle est décédée le lendemain et pendant des mois, j’étais en colère. En colère, pour le sentiment que nous ne lui avons pas apporté le soutien nécessaire vers la fin. Au lieu de soins dévoués, attentifs et dignes, elle avait un soutien ad hoc de l’aide domestique et des membres de la famille disponibles qui n’étaient pas formés parce que nous n’avions pas les ressources ni l’accès pour lui procurer des soins à temps plein dédiés. Elle était une femme pudique et ne nous aurait jamais laissé – nous ses petits-enfants – prendre en charge les soins intimes. Elle a été hospitalisée à plusieurs reprises dans une clinique privée, mais l’institution était trop impersonnelle et coûteuse.

Pour moi, les soins palliatifs consistent à soutenir et prendre soin des personnes atteintes d’une maladie chronique ou incurable ou de celles qui sont simplement, selon le cercle naturel de la vie, à la fin de leur parcours. Une période difficile, ces moments sont délicats pour ceux qui reçoivent des soins mais aussi pour ceux qui prodiguent des soins, parfois dépassés car non préparés et, dans certains cas, en deuil précoce face à la transformation difficile des êtres qui leur sont chers.

Au Sénégal, nous avons le privilège d’avoir une culture forte en communauté, de l’hospitalité et des structures familiales soudées. Inutile de dire que nous sommes un pays de Teranga et pourtant nous avons pris beaucoup de retard dans la fourniture de soins palliatifs.

Les seuls services disponibles sont en soins privés avec des coûts hors de portée pour la plupart des Sénégalais. Les institutions publiques font défaut alors que les établissements de santé publique en général sont peu nombreux, sous-financés et sous-effectifs. La plupart des soins, pour les patients qui ont la chance d’en recevoir, sont fournis par des parents ou de l’aide à la maison sans formation appropriée pour fournir des soins à des normes élevées et sans l’équipement pour le faire d’une manière digne. ASPASEN est mon engagement personnel à trouver un moyen de remédier à cela afin que la teranga et le confort face à des défis de santé deviennent une partie de la vie au Sénégal … jusqu’à la fin.

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